Gaspard DUGHET, Le Printemps

Gaspard DUGHET (Rome, 1615 – Rome, 1675), Le Printemps, Vers 1654-1655, Fresque transposée sur toile et marouflée sur bois, Hauteur 90 cm. Largeur 380 cm.

Longtemps déprécié et considéré comme simple fond de décor servant l’Histoire figurée, le paysage ne s’épanouit en tant que genre pictural qu’à partir du XVIIe siècle. La représentation de la nature connut notamment à Rome un essor considérable durant les années 1630, où étaient alors installés différents peintres paysagistes européens qui immortalisèrent les beautés du monde terrestre, tels que Paul Bril (v. 1553-1626) ou Claude Lorrain (1600-1682). Parmi eux se trouvait également Gaspard Dughet (1615-1675), ancien élève et beau-frère de Nicolas Poussin (1594-1664), qui excella dans ce genre comme en atteste cette fresque de format rectangulaire transposée sur toile intitulée Le Printemps. L’œuvre fait partie d’un ensemble de quatre scènes représentant les saisons, commandité vers 1654-1655 par l’illustre artiste Gian Lorenzo Bernini dit Le Bernin (1598-1680) pour orner son palais romain.

La composition en frise de cette toile retranscrit dans une lumière d’influence nordique une nature bucolique (bien qu’elle ne fut pas peinte in situ mais à partir de croquis au sein de l’atelier de l’artiste, selon les usages de ce temps). Sous un ciel nuageux, un groupe de femmes cueillent au petit matin les premières fleurs de l’année dans une vallée située à l’orée de forêts luxuriantes. Au second plan, une tour massive encore dans l’ombre est érigée sur une falaise, à l’arrière-plan sur un promontoire rocheux se dresse un village que le soleil illumine, de même que le massif montagneux émergeant à l’horizon (voir détail 1). Ces différents éléments topographiques peuvent être rapprochés de Tivoli, site des environs de Rome qui fascina Dughet et ses confrères paysagistes pour ses effets atmosphériques. En effet, l’oblique du campanile médiévale et la façade a la moderna nouvellement achevée en 1650 de la cathédrale de San Lorenzo in Tivoli permettent de confirmer l’identité de cette localité surplombant la rivière Aniene.  

Le lieu verdoyant offrit à l’artiste un cadre privilégié pour exprimer la solennité de l’histoire antique. En effet, les femmes ramassant des fleurs (voir détail 2) peintes par Dughet s’inspirent directement des Métamorphoses d’Ovide (V-385) et plus particulièrement du moment précédant l’enlèvement de Proserpine par son oncle Pluton, décrit ainsi : « là règnent, avec les Zéphyrs, l'ombre, la fraîcheur, un printemps éternel ; là, dans un bocage, jouait Proserpine. Elle allait, dans la joie ingénue de son sexe et de son âge, cueillant la violette ou le lys, en parant son sein, en remplissant des corbeilles, en disputant à ses compagnes à qui rassemblerait les fleurs les plus belles ». Dans les Fastes, Ovide précise que les jeunes nymphes cueillaient également du pavot, des jacinthes, des coquelicots ou encore du mélilot (IV, 417-444). Le sujet fut peut-être décidé avec son commanditaire qui avait sculpté le rapt de Proserpine durant sa jeunesse (Rome, Galerie Borghèse, 1621-1622). Les autres panneaux reprennent également des épisodes des Métamorphoses, avec notamment l’histoire de Pan et Syrinx pour l’Été ou encore celle de Thisbé et Pyrame pour l’Automne. Comme dans d’autres séries illustrant les quatre saisons, Dughet associe la première de l’année à une lumière matinale, l’été au soleil méridional, l’automne au crépuscule et enfin l’hiver à la tombée de la nuit. Cette même association fut aussi utilisée par Nicolas Poussin, dans sa propre interprétation des saisons peintes durant les années 1660 pour le duc de Richelieu, dans laquelle il mit en scène des épisodes de l’Ancien Testament (Paris, musée du Louvre).

Que cette série de Dughet ait influencé les Saisons de Poussin ou non, ces fresques commanditées par Bernin sont un témoignage de la renommée et du talent de ce peintre, longtemps resté dans l’ombre de son maître. Le lyrisme nostalgique du Printemps offre un spectacle de sérénité célébrant la saison des régénérescences et des amours à travers la beauté universelle de la nature.

 

 

DUGHET, Le Printemps © Musée des Beaux-Arts de Bordeaux

DUGHET, Le Printemps © Musée des Beaux-Arts de Bordeaux