Henri GERVEX, Rolla

Peinture XIXe siècle
Henri GERVEX (1852-1929), Rolla, 1878, huile sur toile.

Extrait de la lecture d'image rédigée par Sophie Barthélémy, sur Boule de suif de Maupassant. Collection Folioplus classiques (n° 103), Gallimard, Parution : 16-05-2007

"Appuyé au balcon d'une fenêtre ouverte sur les toits de Paris et sur un ciel rosi par les lueurs de l'aube, un homme en chemise contemple le corps dénudé d'une belle endormie, reposant de tout son long dans un grand lit qui occupe la quasi-totalité de l'espace d'une chambre à coucher cossue. L'attitude d'abandon de cette nudité voluptueuse, à laquelle la chemise ouverte de l'homme fait écho, suggère, sans équivoque, l'ivresse sensuelle d'une nuit d'amour que conforte au premier plan, telle une nature morte, l'amoncellement de dessous féminins - corset rouge doublé de blanc, jarretière de soie rose et jupon empesé - dans lesquels s'enchevêtrent la canne et le chapeau haut de forme de l'amant. Le rouge discordant du corset et du soulier, abandonné au pied du lit, ne suffit toutefois pas à perturber l'harmonie générale du tableau baignant  dans un doux camaïeu de blancs laiteux et de teintes pastel - le bleu du lit et du dais le surmontant, le rose nacré et velouté du corps féminin. Pas plus d'ailleurs que le subtil contraste entre la lumière froide de l'aurore et l'éclairage artificiel de la lampe à pétrole posée au chevet du lit. L'apparent désordre de la chambre dont témoignent les vêtements jetés pêle-mêle sur le fauteuil et le lit défait ne saurait cacher la savante construction du tableau. Aux lignes horizontales et verticales des montants du lit et de la fenêtre répondent ainsi les diagonales que dessinent le lit, la balustrade en fer forgé et la canne émergeant effrontément de l'amas de vêtements..."

"Le titre de ce tableau s'inspire du poème éponyme qu'Alfred de Musset, un des écrivains favoris de Gervex, composa en 1833. L'artiste prit toutefois quelques libertés avec ce drame romantique qui relatait le suicide de Jacques Rolla, jeune bourgeois débauché et ruiné par de cupides courtisanes. Refusé par le jury du Salon de 1878  pour cause d'immoralité et d'indécence, le "Rolla" de Gervex fut exposé à la curiosité des Parisiens dans la vitrine d'un marchand de tableaux de la rue de la Chaussée d'Antin. On venait y respirer le même parfum de scandale qui avait accompagné un an plus tôt la subversive "Nana'" de Manet.

Au-delà de l'agitation polémique qu'elle suscita, cette toile est aussi révélatrice de l'ambivalence du peintre, tiraillé entre les séductions des recherches novatrices de ses amis impressionnistes et sa fidélité à l'académisme de son maître Cabanel. Cela lui valut d'ailleurs les sarcasmes des critiques de son temps qui lui reprochaient d'être "un moderne pas assez moderne".

 


 

Henri GERVEX, Rolla © Musée des Beaux-Arts, Ville de Bordeaux

Henri GERVEX, Rolla © Musée des Beaux-Arts, Ville de Bordeaux