Hommage aux enseignants !

Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leur parole, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au-dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne, alors c’est là en toute beauté et toute jeunesse le début de la tyrannie.
Platon, La République

Face à la barbarie et à la violence subies récemment par le corps enseignant, le musée des Beaux-Arts de Bordeaux tient à rendre hommage aux professeurs qui se battent au quotidien pour éclairer la jeunesse, forgeant l’esprit critique des adultes de demain, pour éviter comme l’écrivait Platon durant l’Antiquité « le début de la tyrannie ».
En France, l’éducation est un droit et le corps enseignant a comme mission première selon le Code de l’éducation « de faire partager aux élèves les valeurs de la République », de faire « acquérir à tous les élèves le respect de l’égale dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et de la laïcité ». Ce qui est aujourd’hui considéré comme un droit de tous les citoyens français était jadis un privilège réservé aux élites. Toutefois, l’enseignement de la jeunesse fut toujours au cœur des réflexions des artistes et des grands penseurs, comme l’illustrent certaines œuvres de nos collections, de la Renaissance jusqu’aux Lumières. 

 

Renaissance

 
Les Humanistes de la Renaissance, qui valorisaient la connaissance universelle, réfléchirent à l’importance de la pédagogie. Érasme de Rotterdam, par exemple, écrivit en 1529 un traité intitulé De l’éducation des enfants, qui proposait de dépasser le modèle éducatif rudimentaire proposé par l’Église depuis le Moyen-Âge en Europe. En tant que précepteur de princes et de nobles d’Europe, il encourage notamment dans cet essai l’enseignement par l’humour et cherche l’échange avec ses étudiants par le rire et l’histoire anecdotique. Selon lui, l’humour et la fable permettent à l’élève d’acquérir les principes de la « philosophie morale » et de la « raison ». Il pose la question suivante à ses lecteurs : « Quoi de plus charmant qu’une comédie ? Fondée sur l’étude des caractères, elle fait impression sur les non-initiés et sur les enfants. Mais quelle somme de philosophie y trouve-t-on en se jouant ! Ajoute mille faits instructifs que l’on s’étonne de voir ignorés même aujourd’hui par ceux qui sont réputes les plus savants ». Cette pensée sur l’éducation, encore d’actualité aujourd’hui, fut partagée par Montaigne. 
 

 

Le philosophe aquitain écrivit également sur ce thème, avec cette même vocation de guider la jeunesse vers la connaissance. Le chapitre « Sur l’éducation des enfants » du premier livre des Essais (1580) expose sa conception du rôle du précepteur dans la formation du « jugement » de l’élève. Il explique qu’il ne faut pas forcer l’élève à apprendre mais lui donner le goût pour le savoir pour que telle une abeille, il en fasse son « miel ». Selon lui, « la vérité́ et la raison sont communes à chacun et n’appartiennent pas plus à celui qui les a dites pour la première fois qu’à celui qui les a dites après », encourageant l’esprit critique et l’ars vivendi.

Âge classique

 
Si l’enseignement de la jeunesse demeure encore sommaire durant l’époque classique, les réflexions sur l’importance de la transmission continuent d’être au centre des préoccupations des intellectuels qui cherchaient à guider l’« Homme » vers la « vérité » et la « raison ».
L’artiste Giovanni Do illustre cette philosophie dans sa toile intitulée Un Maître et son élève peint durant la première moitié du XVIIe siècle. Le précepteur invite l’enfant à découvrir la vérité en lui tendant un miroir. Le geste évoque les manuels publiés pour l’instruction des jeunes princes durant ce siècle intitulés les « miroirs des princes ». Ces « miroirs » proposaient à leurs élèves l’image d’un « prince meilleur », soit une image de ce qu’ils pourraient devenir par l’apprentissage des vertus théologales et cardinales. Au-delà de l’enseignement d’un sens moral et civique, les philosophes s’interrogèrent également sur l’universalisme de l’éducation des élites et regrettaient une éducation qui soit orientée vers une accumulation des savoirs. Ainsi, René Descartes suggéra de développer la réflexion individuelle et Blaise Pascal invita les lecteurs de ses Pensées à se perfectionner dans un domaine : « Puisqu’on ne peut être universel en sachant tout ce qui se peut savoir sur tout, il faut savoir peu de tout » (1699-1670). Plus tard, le philosophe britannique John Locke publia Les pensées sur l’éducation qui renouaient avec les propos d’Érasme. En effet, il écrivit qu’« à mesure que les enfants avancent en âge, il faut leur donner plus de liberté. La nécessité de rechercher le véritable bonheur est le fondement de notre liberté » (1693), annonçant les réflexions des Lumières.
 
 

Époque des Lumières

 
À l’aube de la Révolution française, l’éducation de l’enfant devint une priorité, considérée comme essentielle dans la construction de l’individu moderne et celle de la société. L’article de l’Encyclopédie d’Alembert consacré à l’éducation (volume V, 1755) en expose les enjeux : 
« Les enfants qui viennent au monde, doivent former un jour la société dans laquelle ils auront à vivre : leur éducation est donc l’objet le plus intéressant, 1° pour eux-mêmes, que l’éducation doit rendre tels, qu’ils soient utiles à cette société, qu’ils en obtiennent l’estime, & qu’ils y trouvent leur bien-être : 2° pour leurs familles, qu’ils doivent soutenir & décorer : 3° pour l’état même, qui doit recueillir les fruits de la bonne éducation que reçoivent les citoyens qui le composent ». 
 
 
Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, de nombreux écrits furent consacrés au thème, tel que l’Émile ou De l’éducation (1762) de Jean-Jacques Rousseau, qui représente l’un des chefs-d’œuvre de la recherche pédagogique. L’ouvrage eut un retentissement important comme en atteste notamment le tableau de François-André Vincent, intitulé La Leçon de labourage ou L’Agriculture. L’œuvre illustre le fils François-Bernard Boyer-Fonfrède, riche marchand bordelais et commanditaire de l’œuvre, apprenant à labourer, soit une activité généralement réservée aux paysans. Le sujet de la composition se nourrit des théories de Rousseau qui explique dans l’Émile que l’agriculture est « le premier métier de l’homme : c’est le plus honnête, le plus utile ; et par conséquent le plus noble ». En encourageant l’apprentissage d’un métier, Rousseau souhaitait « vaincre les préjugés ». Il en appelait « à former l’esprit » en suscitant le désir d’apprendre qui engendre à son tour l’épanouissement de l’individu selon sa nature.
 
D’autres écrivains comme Madame de Genlis proposèrent également des méthodes éducatives associant principes moraux et accès au savoir. Dans son Théâtre à l’usage des jeunes personnes (1779-1780), l’écrivaine explique qu’une « éducation parfaite » donne de « l’ordre » à l’esprit, « de la raison & des principes », répondant à des exigences morales. Ses ouvrages sur l’éducation des jeunes filles et des jeunes garçons de la noblesse défendent l’importance de préserver l’harmonie sociale, illustrant comment les idées des Lumières s’infiltrèrent dans les réflexions de la France des notables. Ces pensées se diffusèrent partout en Europe et les Réflexions sur l’éducation d’Emmanuel Kant, publiées à titre posthume en 1803, résumèrent un demi-siècle de thèses sur la formation de la jeunesse, lorsqu’il écrivit que « l’homme ne peut devenir homme que par l’éducation. Il n’est que ce que l’éducation fait de lui. [...] Ordinairement, les parents élèvent leurs enfants seulement en vue de les adapter au monde actuel, si corrompu soit-il. Ils devraient bien plutôt leur donner une éducation meilleure, afin qu’un meilleur état pût en sortir dans l’avenir ». 
 
 
Avec l’instauration de la République, le système d’enseignement français s’est fondé sur ces grands principes d’esprit critique et de liberté individuelle avec le « devoir de l’État » d’organiser un « enseignement public obligatoire gratuit et laïque à tous les degrés ». Cette loi du Code de l’éducation, héritière des écrits des plus grands penseurs occidentaux, a pour vocation la lutte contre l’obscurantisme par la civilisation, faisant de l’éducation de nos enfants une condition préalable au progrès de l’humanité.
 
Par cet humble hommage, nous tenons à remercier les enseignants pour le travail qu’ils font pour continuer à faire vivre ce fondement de la République.
Giovanni Do, <i>Le Maître et son élève</i>

Giovanni Do, Le Maître et son élève