Jean-Baptiste CARPEAUX, La Rieuse

sculpture XIXe siècle
Jean-Baptiste Carpeaux (Valenciennes, 1827-Courbevoie, 1875), La Rieuse, dit aussi Bacchante aux roses n°2, vers 1870, marbre.

Alors qu’il n’est encore qu’un enfant, Jean-Baptiste Carpeaux est placé par son père comme apprenti chez le plafonnier Debaisieux. Celui-ci, après avoir constaté l’habileté des doigts du jeune garçon, conseille de l’inscrire aux Académies d’architecture, de sculpture et de peinture, fondées à Valenciennes en 1777 par le père du peintre Abel de Pujol.

Puis, Carpeaux suit les cours de la Petite École à Paris où il se lie d’amitié avec les sculpteurs Henri Chapu (1833-1891) et Albert-Ernest Carrier Belleuse (1824-1887), les architectes Charles Garnier (1825-1898) et Gabriel Davioud (1824-1881).

En 1844, il suit l’enseignement de François Rude (1784-1855) à l’École des Beaux-Arts. Pendant dix mois, auprès de son maître, Carpeaux apprend l’exactitude mathématique dans la copie et contrôle les sculptures à l’aide du fil à plomb et du compas. Il est certain que le Pêcheur napolitain jouant avec une tortue, œuvre de Rude a influencé le jeune artiste. Cette sculpture est la première à introduire dans un modèle d'inspiration encore classique une dimension naturaliste à travers le sourire laissant entrevoir les dents. Cette audace constitue à l’époque une entorse osée à la tradition du beau idéal. Cette œuvre a fait sensation au Salon de 1833 et a fasciné autant les tenants du classicisme que ceux du romantisme. Carpeaux s'est inspiré de cette figure pour son Pêcheur à la coquille, (exécuté en 1858).

En 1854, après six tentatives, Carpeaux obtient le prix de Rome avec son Hector implorant les dieux en faveur de son fils Astyanax. Il s'installe à la villa Médicis en janvier 1856 et étudie les grands maîtres : Raphaël, Michel-Ange. Lors de son voyage en Italie, il puise son goût pour le mouvement et la spontanéité. Il témoigne aussi de son ouverture d’esprit et de sa curiosité : « j’ai vécu pendant deux ans dans les rues de Rome, cherchant dans la nature les distractions que je ne pouvais trouver à l’atelier. C’est là que j’ai puisé une grande série d’observations. J’ai fait des dessins pris sur les mouvements et j’ai atteint un certain mérite dans ce genre qui me distingue, dit-on, des autres». Son ami d’enfance Jean-Baptiste Foucart dit de lui qu’il est un « maître d’art et un maître d’énergie ».

Homme au fort tempérament, et surtout farouchement indépendant, Carpeaux ne supporte pas vraiment les contraintes académiques. Il livre au terme de son passage à l’Académie de France à Rome, un groupe très controversé, Ugolin et ses enfants (1859, Paris, Musée d’Orsay) qui lui a assuré une notoriété immédiate, révélant de manière remarquable, l’exaltation douloureuse et tragique. Mais, l’œuvre ne respecte pas la commande. Son envoi devait comporter une seule figure, Carpeaux en modèle cinq. Rétif à toute discipline, il enfreint le règlement en choisissant un sujet qui sort du cadre de l’Histoire sainte ou de l’Antiquité. Toutefois son « style noble et musculeux insuffle une vie et une sensibilité inattendues.» (Coignard, 2014).

Il bénéficie alors d’une grande faveur sous le Second Empire qui l’impose sur tous les chantiers.

Jean-Baptiste Carpeaux, La Danse, 1869, maquette en plâtre, Paris, Musée d'Orsay.

En 1863, Charles Garnier, l'architecte du nouvel Opéra de Paris, commande quatre groupes sculptés à quatre artistes titulaires du Prix de Rome pour décorer la façade du bâtiment. Carpeaux doit traiter le thème de la danse. Trois ans durant, il multiplie esquisses et maquettes, avant de concevoir cette farandole tournoyante de femmes encerclant le génie de la danse. La préoccupation essentielle du sculpteur consiste à rendre la sensation du mouvement. Il y parvient en créant une dynamique à la fois verticale et circulaire. Les bacchantes souriantes, toutes dents découvertes sont inspirées de reliefs de vases antiques mais aussi de personnages bien réels du monde du spectacle parisien : danseuses de l’Opéra, acrobates et simples modèles. Le sensualisme choque les contemporains. Carpeaux reprend à son compte, le réalisme introduit en sculpture par Rude et y adjoint un sens époustouflant du mouvement éperdu et du rendu des sentiments. En livrant des compositions cadencées et sensuelles, il donne figure à la modernité.

Dévoilé le 27 juillet 1869, le groupe est maculé d’encre par un public horrifié et provoque la ruine de l’artiste. L’œuvre rompt en effet, avec les traditions en matière de sculpture architectonique et forme toutefois un digne pendant à La Marseillaise de Rude.

Jean-Baptiste Carpeaux, La Rieuse, v. 1870, marbre.

Après la guerre de 1870, Carpeaux revient à Paris où il développe un atelier d’édition pour renflouer ses finances. À partir de La Danse, il crée trois bustes sous les noms de Bacchantes aux lauriers, aux vignes et aux roses, présentés à l’Exposition universelle de 1878 et dont il tire de nombreuses versions. La Bacchante aux roses n°2, (version bordelaise que nous évoquons), l’une de ses créations les plus sensuelles, représente mademoiselle Miette, actrice du théâtre du Palais-Royal. Le sculpteur est parvenu à immortaliser dans le marbre l’instant si bref du visage transformé par le rire.

Jean-Baptiste Carpeaux, Mater dolorosa, 1869-1870, terre-cuite.

Il exécute également des œuvres émouvantes, comme la Mater dolorosa (Femme pleurant, 1870, Paris, Petit Palais) dont le musée des Beaux-Arts de Bordeaux possède un exemplaire, en terre cuite (datant de 1869-1870).

Jean-Baptiste Carpeaux, La rieuse © Musée des Beaux-Arts, Ville de Bordeaux

Jean-Baptiste Carpeaux, La rieuse © Musée des Beaux-Arts, Ville de Bordeaux