Jean-Baptiste Greuze "L'Inconsolable"

(Tournus, 1725 – Paris, 1805)

L’Inconsolable

Huile sur toile. Hauteur : 45,7 cm. Largeur : 37,5 cm.
Historique : Collection du comte de Vaudreuil, vendue le 26 novembre 1787 (lot n° 100). Galerie Seligman, Paris. Collection Philip Lathrope Cable et Martha Kelly Cable. Collection privée, New York. Don de la Société des amis des musées de Bordeaux , 2014.

La plus ancienne description de cette oeuvre se trouve dans le catalogue de vente de la collection du comte de Vaudreuil, le 26 novembre 1787 (lot n° 100). Nous pouvons y lire, sous l’expertise du marchand parisien Jean-Baptiste Pierre Le Brun (1748-1813), garde du cabinet du comte d’Artois :
Une jeune fille vêtue de deuil, & dans la plus grande douleur ; sa tête penchée est appuyée auprès d’une urne. La beauté des formes & la vérité du ton, distinguent toujours les ouvrages variés & inappréciables de cet Artiste.
Cette peinture réapparut à la galerie Seligman à Paris avant d’intégrer la collection Philip Lathrope Cable et Martha Kelly Cable, puis une collection privée new-yorkaise. Elle passa en vente chez Sotheby’s New York le 18 mai 2006 (lot n° 221).
L’intérêt de cette acquisition réside d’abord dans sa provenance prestigieuse. Joseph- Hyacinthe François-de-Paule de Rigaud (1740-1817), comte de Vaudreuil, assumait entre autres les charges de lieutenant général, de grand fauconnier de France et de gouverneur du Louvre. Sa réputation d’amateur distingué et de protecteur des Beaux-Arts reposait en partie sur une importante collection de peintures. Dans le catalogue de la vente de 1784, écrit en collaboration avec Vaudreuil, Lebrun écrivait en introduction : On n’aura pas vu depuis la vente du cabinet de M. de Gaignat, une collection qui offre tant de beaux tableaux dans un aussi petit nombre. Le goût le plus sûr et le plus difficile semble avoir présidé ce choix, et le hasard s’est plu à le favoriser, en lui fournissant les productions les plus précieuses et les plus rares des maîtres les plus habiles. Il est peu de personnes qui n’eussent envié à M. le comte de Vaudreuil la jouissance de son cabinet ; il n’est point d’amateur qui puisse se flatter de trouver souvent les mêmes occasions d’exercer ses connoissances (LEBRUN, Jean-Baptiste Pierre, Catalogue raisonné d’une très-belle collection de tableaux des écoles d’Italie, de Flandre et de Hollande, qui composoient le Cabinet de M. le comte de Vaudreuil, grand-fauconnier de France, Par J. B. P. Le Brun, peintre, la vente s’en fera le mercredi 24 novembre 1784, & jours suivans, de relevée, rue Plâtrière, hôtel de Bullion, Paris, de Prault, 1784, p. 2).
La qualité de cette collection a suscité une longue description par Luc-Vincent Thiéry de Sainte-Colombe (1734- ?) dans son Guide des amateurs et des étrangers voyageurs à Paris (Paris, Hardouin et Gattey, 1787, t. 2, pp. 542-549). L’auteur signale dans le salon, entre la cheminée de marbre blanc et une fenêtre, Deux têtes par Greuze accrochées à côté de deux Sainte Famille de Stella et Baugin, et deux paysages de Ruysdael et Boucher ; et, entre la glace et la porte de  la chambre à coucher, deux Têtes par M. Greuze, à côté d’un Chimiste de Bilcoq et d’une Fête villageoise de Le Prince.
Les confortables revenus de Vaudreuil ne compensèrent pas ses dépenses somptuaires. En 1787, le comte avait une dette évaluée à plus de deux millions de livres pour lesquelles le comte d’Artois s’était engagé. Il se résolut donc à vendre notamment sa collection de peintures en trois fois : en 1784 pour les écoles flamandes, hollandaises et italiennes, en 1787 pour l’école française et quelques tableaux hollandais et italiens, le mobilier et les objets d’art, et en 1796.
La vente de 1787 proposait de Greuze deux dessins (Accordée de Village et Le Paralytique servi par ses enfants, n° 162) signés et offerts à Vaudreuil par l’artiste, et cinq tableaux dont quatre figures en buste, les quatre Têtes signalées par Thiery dans son guide : Une jeune fille, vue en buste, la tête penchée et appuyée sur un oreiller (n° 97, 1399#19, Quenet), Le Buste d’un jeune garçon, vu de trois (n° 98, 1281#, Hamon), Une jeune bacchante, vue en buste (n° 99, 760#, Cornillon) et Une jeune fille vêtue de deuil, et dans la plus grande douleur ; sa tête penchée est appuyée auprès d’une urne.
Greuze avait déjà abordé le thème de la veuve inconsolable dans un tableau peint vers 1762-1763 et conservé à la Wallace collection  à Londres. Le modèle y est représenté de pied, assis dans un fauteuil au pied du buste du défunt. Le peintre reprit ce thème pour la peinture parisienne vers 1780, date proposée par Madame Yuriko Jakall, conservateur à la National Gallery of Art de Washington, avec un cadrage serré sur le buste d’une jeune fille. Le modèle aux joues rebondies et à la chevelure châtain clair rappelle l’héroïne de la Prière du matin (vers 1775-1780) conservée au musée Fabre à Montpellier. Le peintre a produit une série de têtes d’expression féminines, sous les traits de jeunes femmes larmoyantes, vues en buste, dans la veine de ses scènes empreintes d’un sentimentalisme souvent moralisateur. Deux exemples proches de l’œuvre parisienne se trouvent, l’un au Metropolitan Museum of Art de New York (Tête de jeune femme, vers 1780, 0,41 x 0,324 m, 67.187.72), l’autre sur le marché de l’art en 2009 (Buste d’une jeune fille appelée Virginie, huile sur toile, 45,7 x 37,4 cm, Sotheby’s New York, 30 janvier 2009, lot n° 208).
L’originalité et l’intérêt de L’Inconsolable, dont une étude à la sanguine et à la pierre noire est conservée dans une collection particulière, résident dans le traitement néoclassique de la chemise blanche, ourlée d’une broderie d’or, et de l’urne ornée de putti.
Madame Yuriko Jakall a souligné la notoriété de L’Inconsolable avec une gravure d’Antoine Achille Bourgeois de La Richardière (1777-1830), une Arthémise d’après Greuze par Jean-Baptiste-Jacques Augustin (1759-1832) et trois copies passées en ventes publiques : Paris, Drouot, 14 juin 1993, lot 24, huile sur toile 47,5 x 39,5 cm ; Christie’s South Kensington, 29 octobre 1997, lot n° 107, huile sur toile, 47 x 38,1 cm ; Bonhams San Francisco, 23 novembre 2008, lot n° 6022, 45,7 x 37,5 cm.
Ces différentes raisons justifient l’acquisition de L’Inconsolable de Greuze qui complète le fonds du XVIIIe siècle français, riche d'environ cent cinquante œuvres, et s’ajoute à la Jeune fille effrayée par l’orage de l’ancienne collection Tauzin.
 
Marc Favreau, conservateur en chef au musée des Beaux-Arts de Bordeaux
Image : L'Inconsolable de Greuze ©Musée des Beaux-Arts-mairie de Bordeaux. Cliché F. Deval

"L'Inconsolable" de Jean-Baptiste Greuze. Don de la Société des Amis des Musées de Bordeaux, 2014 ©Musée des Beaux-Arts-mairie de Bordeaux. Cliché F. Deval