L’acquisition de cette toile d’Albert Besnard (1849-1934) vient s’insérer dans le parcours des œuvres autour du symbolisme et de la figure tutélaire d’Odilon Redon, dont le musée des Beaux-Arts de Bordeaux possède un fonds de référence.
L’œuvre de Besnard reflète en effet l’atmosphère onirique des visions fantasques de la fin du 19e siècle et participe, au début du 20e siècle, à une forme de nostalgie de l’Antiquité que l’on décèle chez de nombreux artistes présents dans les collections, comme le Bordelais Jean Dupas.
En effet, on décèle dans la composition de ce jeune homme nu, s’élançant à la poursuite d’un cerf, son arc tendu visant la bête dans un paysage de lac entouré de montagnes, des résonances mythologiques.
S’agirait-il du malheureux Actéon sur le point de découvrir Diane au bain ?… Le contexte lacustre et l’utilisation de l’arc font aussi penser à Hercule, avant ou après la chasse des oiseaux du lac Stymphale.
En 1909, Antoine Bourdelle avait d’ailleurs eu un immense succès avec la sculpture de l’Héraklès archer, que Besnard appréciait sans doute. Les deux artistes se côtoyaient car c’est en effet à Bourdelle que Besnard fit appel pour sculpter le pommeau de son épée d’académicien en 1926.
Mais l’homme dépeint ici n’a ni la massivité, ni la puissance contenue de l’athlète sculpté. Besnard place son chasseur en équilibre. À l’inverse de l’Hercule de Bourdelle, il n’est pas tendu vers le haut, mais vers le bas, dans une ligne oblique qui mène au cerf en contrebas.
Juché sur la pointe d’un pied, le jeune homme semble avoir la légèreté d’un danseur ; la finesse et le modelé de son corps rappellent par ailleurs davantage les représentations classiques d’Apollon.
Les lignes de force de la composition convergent toutes vers ce point d’équilibre indiqué par l’extrémité de la flèche du chasseur.
Au centre, l’ombre bleue de la montagne irradie d’une lumière onirique et reflète comme une pyramide inversée le promontoire rocheux du premier plan.
L’instabilité de la position du jeune homme et sa petite taille contrastent avec l’immensité du paysage et du ciel.
Le format imposant et la verticalité du motif confèrent à ce paysage une grande puissance, dont le sujet-même peut aussi laisser penser qu’il s’agit peut-être d’une réflexion pour un décor.
Une même touche très fluide décrit les multiples nuages comme les rochers affleurant dans une infinité de roses et de bleus issus d’une palette très délicate. Besnard révèle ici ses talents de coloriste et sa science de la composition à travers les différents plans qui se superposent, tout en se confondant par l’harmonie des tons.