Lorsqu'Auguste Rodin (1840-1917) réalise ce plâtre en 1904, il est alors au sommet de sa carrière. Dès le dernier quart du 19e siècle, il révolutionne l’art de la sculpture avec des œuvres marquées par l’inachevé, le fragment, et une iconographie qui bouscule ses contemporains, comme son célèbre Balzac en robe de chambre (1891).
Rodin avait l’habitude de réutiliser des motifs et fragments de ses œuvres antérieures, qu’il appelait « abattis ». Cybèle reprend ainsi une petite figure assise qu’il avait initialement créée à la fin des années 1880 et intégrée à sa composition monumentale de La Porte de l’Enfer (une porte en bronze destinée au futur musée des Arts Décoratifs).
Pour produire une version agrandie de Cybèle, Rodin charge son praticien Henri Lebossé d'utiliser un pantographe, un procédé inventé en 1844, permettant initialement de réduire et ici d’agrandir une œuvre tout en respectant ses proportions.
Ce plâtre surprend autant par ses dimensions que par son caractère avant-gardiste. Les coutures visibles du moule signalent qu'il s'agit d'une œuvre multiple, à partir duquel plusieurs bronzes peuvent être tirés, une démarche parfaitement délibérée de la part de Rodin. Le choix de laisser la surface brute marquée par les traces de l’outil crée aussi une impression d’inachèvement volontaire. Rodin voit dans cette approche une manière de traduire la dynamique de la matière, en perpétuel mouvement. Comme il le dit : « L'unité de l'œuvre fondamentale repose sur l'équilibre des volumes simples et quelques indications de directions, certaines parties, secondaires, peuvent être supprimées. »
L'œuvre prend le nom de Cybèle en 1914. Auparavant, la sculpture était connue sous les titres Femme assise ou Abruzzesi assise, en référence à Anna Abruzzesi, l’un des modèles favoris de Rodin. Le nom de la déesse Cybèle a été choisi pour accentuer l’aspect divin et monumental de l’œuvre, tout en conservant la sensualité et l’intensité propres à l'interprétation d’Abruzzesi. En renonçant à un titre trop ancré dans la réalité, Rodin oriente l'œuvre vers une dimension plus universelle et intemporelle.