Même lorsqu'il aura obtenu la gloire, l’argent et la fortune*, Soutine (1893-1943) sera toujours un être craintif, triste et seul, malgré la présence de quelques amis comme Amedeo Modigliani.
Jusqu'à sa mort, survenue brutalement en 1943, sa peinture apparaît comme l'expression d'un mal-être et le moyen de survivre moralement.
Entre 1918 et 1925, Soutine est envoyé dans le Midi de la France, à Céret, puis à Cagnes-sur-Mer par le marchand Zborowski, sur recommandation de son ami Modigliani, de dix ans son aîné. Tous les deux partagèrent avant-guerre cette vie de bohème et de misère dans le quartier de Montparnasse où résidaient alors un grand nombre d'artistes étrangers, pour la plupart originaires d'Europe centrale et orientale. C'est à cette époque qu'il s'intéressa plus particulièrement au paysage. Cette œuvre appartient à cette série des paysages de Cagnes.
Bien que les couleurs soient vives, c'est le sentiment de souffrance qui domine. Souffrance du peintre qui se communique aux arbres par leur tournoiement échevelé, au chaos des maisons, à la route tortueuse qui monte comme un long chemin de croix sur lequel cet homme blessé s'est effondré, épuisé, saignant, se fondant dans ce décor angoissant.
Appliquée par de larges coups de pinceau apparents, l’émotion se traduit par la matière, très épaisse et triturée, toute en contorsions et en tonalités contrastées, à l’image de la silhouette désarticulée errant sur le chemin. Rien n'est construit, l'œuvre jaillit du sentiment.
Ce caractère instinctif et douloureux de la création est propre à Soutine et le rapproche de Van Gogh, dont il avait connu et apprécié les tableaux.
Cette déformation des contours et des lignes se retrouve aussi bien dans les portraits que dans les natures mortes de Soutine. En ce sens, il est un expressionniste.
*C’est le docteur Barnes qui en 1922 lui achète toute sa production pour sa fondation, près de Philadelphie. Il mettra Soutine à l’abri du besoin et lui permettra de louer son premier atelier.