
Dupas et sa bande
La vague Art déco déferle sur Bordeaux !
Si Bordeaux est aujourd’hui surtout connue pour son remarquable patrimoine architectural du 18e siècle, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco en 2007, elle n’a pas échappé pour autant aux séductions de l’Art déco dans l’entre-deux-guerres, moment de profonde mutation culturelle de la cité.
Ce renouveau est impulsé par le maire radical-socialiste Adrien Marquet dont l’élection, en 1925, coïncide avec l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes et le retour en force de la décoration murale monumentale.
Quatre peintres bordelais - Jean Dupas (1882-1964), François-Maurice Roganeau (1883-1973), Jean Despujols (1886-1965) et Marius de Buzon (1879-1958), tous issus de l’enseignement académique de l’École municipale des beaux-arts et premiers Grands Prix de Rome pour trois d’entre eux, participent au décor du Pavillon de Bordeaux.
Dans l’une des tours de cette installation, dédiée aux vins français, les richesses du terroir et du commerce colonial aquitains sont célébrées sur un mode allégorique, de La Forêt landaise au Port de Bordeaux et ses relations avec l’outre-mer en passant par L’Agriculture, la Vigne et le Vin. Achetées en 1926 par la Ville pour être installées dans l’amphithéâtre de l’Athénée municipal, ces fresques sont aujourd’hui conservées au musée d’Aquitaine.
Admiré par Despujols, Jean Dupas fait figure de chef de file charismatique au sein du groupe.
À l’Exposition des arts décoratifs de 1925, il se fait aussi remarquer avec ses Perruches, élément du décor commandé pour l’« hôtel du collectionneur » du groupe Ruhlmann.
C’est au cours de son séjour à la Villa Médicis, en 1910, que Dupas découvre le double héritage de l’Antiquité et de la Renaissance. Le Bordelais développe rapidement un art profondément singulier, où les réminiscences du maniérisme italien, que traduisent notamment le raffinement du coloris et l’élongation extrême de ses figures mythologiques, s’allient à des emprunts au cubisme dont il reprend la géométrisation et la stylisation formelles. Ce néoclassicisme sophistiqué déconcerte ses contemporains mais séduit ses condisciples bordelais.
Exécuté en 1917, L’Archer pose les jalons de cette nouvelle esthétique. Servie par un dessin ingresque et des couleurs froides posées en aplats, la composition campe un décor de poème champêtre antique à l’artifice théâtral.
Dans le contexte du « retour à l’ordre » et du Front populaire de l’entre-deux-guerres, Adrien Marquet, assisté par l’architecte municipal Jacques D’Welles, lance d’ambitieux programmes architecturaux inscrivant la modernité dans la tradition classique bordelaise. Conçue comme un « palais pour le peuple » dédié à la gloire de Bordeaux et au progrès social, la Bourse du travail (1935-1938) en constitue le monument le plus emblématique.
Rejointe par la nouvelle génération de professeurs de l’École des beaux-arts, la « bande à Dupas » est à nouveau réunie sur le chantier du décor mural, qui reprend le dispositif allégorique de 1925. Dans une combinaison de styles originellement distants et à l’anachronisme assumé, les références mythologiques côtoient ici l’imagerie populaire régionaliste.
Directeur de l’École depuis 1929, Roganeau se voit attribuer l’un des panneaux des foyers du premier étage, sur le thème du vin, tandis que Pierre-Albert Bégaud (1901-1956), Camille de Buzon (1885-1964, frère de Marius) et André Caverne (1894-1968) rendent respectivement hommage à la forêt landaise, aux activités portuaires et aux réalisations architecturales. La grande salle de conférences est réservée à Dupas, dont la carrière internationale fait la fierté de ses concitoyens.
Sa Gloire de Bordeaux, une fresque monumentale de format panoramique (5×12,60 m), est achevée en 1939. Le MusBA en conserve un modello (une étude préparatoire) de grandes dimensions.
Dominée au centre par la figure triomphale de la Renommée surmontant les armoiries de la ville, la composition est rythmée par des divinités de la mythologie grecque et romaine et des allégories renvoyant à l’identité et aux richesses locales. Le mouvement joyeux des personnages et le chromatisme chaleureux, aux tonalités contrastées, participent à cette glorification quelque peu débridée.
Longtemps ignoré, l’Art déco bordelais est entré tardivement dans les collections du musée. C’est grâce aux généreux dons puis au legs consentis par le Professeur Robert Coustet, fin connaisseur de l’art bordelais des 19e et 20e siècles, à la donation de la famille de Bégaud et à celle, plus récente, des deux fils d’Alexandre Callède, que peintures, dessins et sculptures de talentueux artistes de cette époque sont venus enrichir le fonds du musée depuis le début des années 2000.
Le MusBA consacrera une exposition exceptionnelle à Dupas et à sa bande en 2026.